mercredi 22 janvier 2014

Mort comme une bête

Douze portes de garages. Un tapis. Un seul. Pour s’essuyer les pieds. Pas les pneus. Et garder, un peu, de dignité. Eric n’a plus de voiture. Il l’avait transformée en lit de voie publique mais un jour, la fourrière est passée et il n’a jamais eu les moyens d’aller la récupérer. Alors pour ne pas dormir dehors, il a opté pour le grand luxe, Eric.
À 49 ans, il était temps de profiter un peu de la vie, non ? Un F1 de 6 m². Avec vue sur cour. Et sans vis-à-vis. Si l’on excepte quelques regards derrière les rideaux de cet immeuble de quatre étages qui surplombe la rangée de garages. Un logement en cœur de ville, rue Louis-Bathou, à Saint-Max. Loyer mensuel : 40 €. À 200 m des voies du tram.

« J’ai un cœur gros comme ça, mais je n’ai plus personne »

Il ne prenait pas le tram, Eric. Il roulait. Sur son vélo. « Sa seule richesse matérielle avec son sac à dos. Il en était très fier de ce vélo », rapporte un riverain. Le sport à 49 ans ? Clopes et alcool, droit devant. Il fallait bien oublier sa vie au fond du garage. Oublier le froid. Oublier la solitude. Oublier que l’homme qu’il était vivait comme une bête.
« Il disposait d’un chauffage avec des bouteilles de gaz et dormait sous plusieurs couvertures. Parfois, il entrouvrait la porte du garage. Sans doute pour prévenir une potentielle intoxication », observe un Maxois.
« Quand il ne bricolait pas dans la cour après des palettes de bois, il pouvait passer la journée sur une chaise de bureau, dans son garage. Il répétait souvent : je suis un Ch’ti, j’ai un cœur gros comme ça mais je n’ai plus personne ». Son cœur lâchera. Sans quiconque pour le relancer. Eric, sera découvert lundi, sans vie, vers 13 h (notre édition d’hier). Par celle qui, un temps l’avait hébergé, pris sous son aile. Avant de le rejeter. Une septuagénaire. Dans le quartier, on explique que la voiture de la vieille dame a brûlé, on suppose des violences, on sous-entend des menaces.
Eric ? L’enquête sur les causes de sa mort – une autopsie doit avoir lieu jeudi – devra inexorablement explorer la relation qu’il entretenait avec cette retraitée. « Il y a environ un mois, il avait été pris en charge par les pompiers pour un souci de santé mais avait refusé d’être transporté à l’hôpital », se souvient un témoin qui, régulièrement, lui offrait des denrées alimentaires ou acceptait que le SDF recharge la batterie de son téléphone portable ou celle de sa lampe frontale. « Je lui avais dit qu’avec l’hiver, ce serait mieux qu’il trouve un hébergement. Mais il craignait la vie en foyer. On a dénoncé cette situation au propriétaire des garages ainsi qu’au maire. Mais rien n’a bougé. Il dormait depuis au moins un mois dans son garage. Même si la police municipale passait de temps en temps. Ces huit derniers jours, on ne le voyait plus, garage fermé. Je pensais qu’on lui avait trouvé une solution mais aujourd’hui, je crois qu’il était là, mort depuis plusieurs jours ».
Le bailleur qui a toujours perçu le loyer dans les temps, résiliera le bail. Pour forcer Eric à quitter sa tanière. La résiliation sera adressée en mairie, faute d’adresse et sur invitation du maire. « Je le connaissais bien, Eric », observe Eric Pensalfini, premier magistrat de Saint-Max. « On lui avait cherché du travail mais il n’a jamais réussi à raccrocher. On s’appelait par nos prénoms. Le CCAS a géré pas mal de choses pour lui et nous avions prévenu l’Accueil et réinsertion sociale (ARS) pour qu’on lui trouve un hébergement mais manifestement, il refusait cette voie-là. J’aimerais savoir de quoi il est mort ».

http://www.estrepublicain.fr/actualite/2014/01/22/mort-comme-une-bete

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